Çatalhöyük, la Violence et le Sacré

On a dit depuis Gordon Child, dans les années 20, que c'était pour des raisons socio-économiques que les chasseurs-cueilleurs avaient fini par se regrouper sur un territoire en nombre substantiel, sur un site donné, pour des raisons d'organisation, de production, de partage du travail, voire de hiérarchie.

Il s'avère que ce n'est pas du tout le cas et aujourd'hui, nous savons que l'humanité a décidé de se fixer en des lieux précis pour des raisons symboliques, mieux encore pour des raisons religieuses.

Nous avons essayé de proposer un modèle qui puisse être éclairant sur l'évolution de l'art décoratif sur les dix-huit strates que ce village, Çatalhöyük, ce gros village agricole dont les origines se situent environ autour de sept mille cinq cents ans avant Jésus-Christ.

Ce site se trouve au centre de la plaine anatolienne, à une heure d’avion d’Istanbul et à mi-chemin entre le Croissant fertile et l’Europe. Le village néolithique est entouré d’une chaîne volcanique se situant pas loin, à l’ouest, du site de grande renommée Göbekli Tepe. près de la frontière avec la Syrie.

Ces sites nous racontent l’histoire des premiers chasseurs-cueilleurs, qui n’avaient pas encore domestiqué les céréales, mais qui moissonnaient les céréales sauvages.

Les premiers occupants de Çatalhöyük, étaient encore des semi-nomades et restaient sur place plus longtemps que d’habitude, environ neuf mois sur douze, à voir toute l’année.

Dans les années 60, le jeune explorateur britannique, Mellaart a remarqué un tumulus qui ne semblait pas naturel. Finalement, il a obtenu la permission, de la part des autorités, d’aller creuser le lieu. Il a ainsi fait apparaître, immédiatement, les premières fresques représentant des animaux sauvages, notamment des sangliers. Les fresques qui ont été ensuite transportées à Ankara.

Il a creusé jusqu’au 18ᵉ niveau, donc, nous avons 18 strates sur le site. En effet, c'est avéré que le site, était un tumulus artificiel. Ce gros village agricole, comptait approximativement 8000 habitants vers 6500 ans avant Jésus-Christ, ce qui est extraordinaire et tout à fait étonnant pour l’époque. Une telle densité urbaine, c'était du jamais vu. 

Les maisons étaient sacrifiées et renouvelées dans le cadre d'un étrange rituel, tous les 80 ans.

Elles étaient démantelées, brûlées et ensuite reconstruites sur le même lieu, pendant plusieurs générations.

Plus extraordinaire encore, le site originel était absolument inhabitable, car entourée de marées. Or, si la raison économique, longtemps considéré comme vraie, comment un groupe important de chasseurs-cueilleurs pouvait se regrouper sur un lieu inhabitable ? Cela ne tient pas début. Alors pourquoi ont-ils choisi ce lieu ?

De plus, l’emplacement, à l’époque, était extrêmement froid en hiver, car c’était encore la glaciation, et très chaud en été.

L’hypothèse de Ian Hodder, archéologue qui a fouillé le site à partir de 1993, est que les habitants avaient besoin de glaise.

Parce que cette population pratiquait au quotidien un rituel domestique bizarre, plâtrer et déplâtrer les murs de leurs maisons, qui à l’époque étaient juste des cellules familiales, pour y cacher des reliques d’animaux et de reste humaines.

Il y a au milieu de ce tissu urbain, sans rues, avec les maisons collées les unes aux autres, des trous remplies de fumier, ou on retrouve des restes d’individus exterminés violemment, lynchés, et des restes d’animaux domestiques et sauvages.

C’était donc une société qui se guidait d’après de violents rituels cathartiques.

De plus, dans les tombes découvertes, gisent des restes humains hétéroclites. Des parties du corps manquent, surtout les têtes, parfois des membres. Les ossements trouvés dans les tombes familiaux, sous les banquettes de la maison, n'appartiennent pas toujours à la même famille, d’après l’analyse ADN.

Ce sont des ossements qui viennent d’ailleurs. Ce sont des individus fragmentés, qui ont subi un transfert et une réunification avec une famille en vie à l’époque, dans le cadre d’un étrange rituel.

Sur le site, les chercheurs ont trouvé le premier plan urbain dessiné au monde, sur lequel est figuré même un volcan actif, qui crache de la lave. Et, ce volcan est tacheté, comme la peau d’un léopard.

Ce motif apparaît souvent dans les bas reliefs de la ville. Les léopards sont représentés tête contre tête, dans des postures agressives.

Le léopard était un animal qui hantait le quotidien des habitants de ce village néolithique, malgré la quasi-absence de restes de cet animal, sauf une mâchoire perforée qui servait probablement de pendentif.

La pratique d’enlèvement des crânes, peints et repeints en général en ocre, c’est également un rituel étrange. Une partie de ces crânes ont été fracassés, mais les individus en question ont résisté à des punitions sociales ou initiations très violentes. Cependant, ils ont survécu et décédé plus tard. 

Ainsi, après la mort, leurs crânes ont acquis une valeur talismanique. Le squelette d’une jeune femme a été découvert sous une banquette, rangé en position fœtale et qui tient dans ces bras l’un de ces crânes.

Les fresques artistiques glorifient des rituels violents de sacrifices animaux, des cerfs, des aurochs, des sangliers.

Cette société, née à l’aube du néolithique, était une société hantée par les morts et rites sacrificiels très violents.

Puisque jugé cause de désordre, les victimes de ces rituels, après immolation, devenait des restaurateurs de l’ordre et des talismans précieusement gardés au sein de la société pour la préserver des violences qu’elle-même infligeait aux victimes choisies comme exutoire.

La sédentarisation n’a donc pas réussi qu’après ce processus, grâce auquel les premières sociétés humaines ont appris à maîtriser leur violence atavique, et qui sont passées du lynchage des individus aux sacrifices rituels.

C’est exactement en ce moment, quand les dieux naissaient, que les premières sociétés agraires naissaient. Les rituels mis en place, sont devenus des fêtes organisées dans les moments les plus tendus de la société.

Ainsi, par le sacrifice rituel, se rétablissait l’harmonie sociale.

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