Qui était ce roi des Rapa Nui auto-intronisé ?
Jean-Baptiste "Onésime" Dutrou-Bornier est issu d'une lignée prestigieuse, son père étant un notaire de renom à Montmorillon ( est une commune du Centre-Ouest de la France, de la sous-préfecture du département de la Vienne, en région Nouvelle-Aquitaine), était animé dès son plus jeune âge par une ambition dévorante qui le poussait vers les horizons lointains.
Depuis l'âge de 14 ans, il avait déjà en lui la flamme du navigateur, rêvant de conquérir les océans en devenant capitaine au long cours. C'est ainsi qu'il prit son envol depuis Le Havre, s'engageant comme simple moussaillon, mais porté par des rêves grandioses.
Sa jeunesse fut marquée par les tumultes de l'histoire, car il se retrouva plongé dans l'enfer de la guerre de Crimée, tenant le rôle de canonnier. Les champs de bataille furent ses premières écoles de la vie, où il apprit la rigueur et la résilience face à l'adversité.
En 1865, animé par un esprit d'entrepreneuriat et d'aventure, il fit l'acquisition à Bordeaux du Tempico, un navire prometteur, en compagnie d'un associé dont les démons intérieurs le rongeaient. Son associé était alcoolique. La tragédie frappa en pleine mer, l'associé succombant à ses excès, laissant Dutrou-Bornier seul maître à bord, héritant "de facto" de l'entière propriété du navire.
Sa vie personnelle était tout aussi complexe et tourmentée. Officiellement uni à une pianiste parisienne de talent, leur mariage demeurait en suspens, une séparation de corps sans formalisation de divorce.
Mais, le cœur Dutrou-Bornier n'était pas à quai ; il avait jeté l'ancre de ses affections à Tahiti, où il partageait la vie d'une maîtresse passionnée. Le destin, capricieux, les sépara tragiquement, sa mairesse décédant alors qu'ils naviguaient vers l'île de Pâques, un voyage qui marquerait la fin de son périple amoureux, mais le début d'une nouvelle épopée.
À son arrivée sur cette terre isolée et mystérieuse, accompagné de sa fille et de deux missionnaires, notre personnage était loin de se douter que son histoire allait s'inscrire dans le drame complexe de cette île méconnue.
Premières Pas sur l’île
L'île de Pâques, isolée au cœur de l'océan Pacifique, est une terre empreinte de mystère et d’histoire, qui s'étend sur environ 163 kilomètres carrés. Elle est mondialement célèbre pour ses statues monumentales, les Moaï, qui gardent silencieusement les secrets d'une civilisation ancienne.
À l'époque de l'arrivée de Jean-Baptiste "Onésime" Dutrou-Bornier, l'île offrait un paysage en même temps austère et fascinant, marqué par les traces d'une culture profondément enracinée, mais fortement ébranlée par les épreuves d’une histoire dramatique.
Les missionnaires, présents depuis cinq ans, avaient établi des fondations modestes, mais significatives pour la communauté : une église et une école, tentant d'apporter un semblant de structure dans un monde marqué par le chaos et les bouleversements.
La population, réduite à quelques centaines d'âmes, témoignait de la résilience face à une histoire tragique. Les habitants, connus sous le nom de Rapanui, se regroupaient non pas en villages organisés mais en tribus, vivant dans des habitations simples, des huttes et des abris souterrains, adaptés à l'environnement difficile et aux ressources limitées de l'île.
L'histoire récente de l'île avait été marquée par une sombre période de rapts perpétrés par des esclavagistes venus du Pérou, qui décimèrent une grande partie de la population autochtone. Ceux qui furent emmenés et réussirent à revenir apportèrent malheureusement avec eux des maladies inconnues sur l'île, causant davantage de souffrances et de pertes.
Cette période sombre laissa des cicatrices profondes dans la mémoire collective des Rapanui, affectant durablement la structure sociale et culturelle de l'île.
La vie sur l'île de Pâques, à cette époque, était un mélange de beauté naturelle, de traditions ancestrales et de défis imposés par les circonstances historiques. Les habitants faisaient preuve d'une grande ingéniosité pour s'adapter et survivre dans cet environnement isolé, tout en préservant les fragments de leur culture et de leur histoire face aux forces extérieures qui cherchaient à les modeler. L'arrivée d'individus tels que Dutrou-Bornier et les missionnaires, dans ce contexte, était observé avec beaucoup de suspicions par les populations locales.
Et, Notre Français s’Auto-Proclame Roi
En arrivant sur cette île éloignée, Dutrou-Bornier n'était pas simplement un aventurier ou un explorateur ; il était un homme porté par une vision, l’ambition d'imprimer sa marque sur ce morceau de terre isolé.
Sa rencontre avec Koreto, une princesse pascuane, fut un tournant décisif. Le mariage avec Koreto n'était pas seulement une union personnelle ; il symbolisait également l'alliance entre Dutrou-Bornier et la communauté autochtone, lui conférant une légitimité et un statut au sein de la société insulaire. De cette union naquirent deux filles, ancrant davantage Dutrou-Bornier dans le tissu social et familial de l'île.
Avec le soutien initial des missionnaires, Dutrou-Bornier entreprit de transformer l'économie et la structure sociale de l'île. Il initia des projets agricoles, établit des élevages, et acquit des terres, posant ainsi les fondements d'une gestion organisée des ressources de l'île. Ces actions, bien que motivées par une vision de développement, reflétaient également un désir de contrôle et de pouvoir sur l'île et ses habitants.
L'établissement d'un "gouvernement" par Dutrou-Bornier et ses efforts pour structurer l'île autour de l'agriculture étaient des moyens d'asseoir son autorité et de formaliser son rôle de dirigeant. Il s'efforçait de moderniser l'île, d'introduire de nouvelles méthodes et de maximiser les ressources disponibles, dans le but de créer une société plus structurée et viable.
Les missionnaires, qui avaient initialement soutenu Dutrou-Bornier, jouaient un rôle crucial dans la santé et le bien-être de la population insulaire. En soignant les maladies et en apportant des soins médicaux, ils contribuaient à la survie et à la récupération d'une population gravement affaiblie par les maladies et les tragédies passées.
Cependant, leur relation avec Dutrou-Bornier se détériora progressivement. Lorsque ses actions commencèrent à "déraper" et à s'écarter des principes éthiques ou des intérêts de la communauté, les missionnaires prirent leurs distances, marquant une rupture dans l'alliance qui avait facilité son ascension.
La trajectoire de Dutrou-Bornier, de son arrivée à son auto-proclamation comme roi, c’est une bonne illustration de la complexité et des dynamiques de pouvoir dans un contexte isolé et vulnérable.
Sa figure controversée reste gravée dans l'histoire de l'île de Pâques, témoignant des profondes empreintes laissées par les interactions entre les cultures et les individus dans des contextes historiques spécifiques.
Le Règne de la Tyrannie
Le basculement de Dutrou-Bornier d'une figure d'autorité controversée à celle d'un tyran se manifeste quelques mois seulement après son établissement sur l'île de Pâques. Cette transformation s'illustre par une série d'actions et de politiques qui révèlent une ambition démesurée et une quête de pouvoir à tout prix, au mépris des conséquences pour les habitants autochtones et l'équilibre social de l'île.
Les premiers signes de sa tyrannie émergent à travers des exactions envers les Pascuans, où Dutrou-Bornier commence à exercer une domination oppressante. Son appropriation de l'île ne se fait pas seulement au niveau territorial, mais également au niveau des ressources et de la main-d'œuvre, s'appropriant de manière agressive les terres et privant ainsi les habitants de leurs moyens de subsistance traditionnels.
L'exploitation des conflits tribaux représente une tactique particulièrement insidieuse. En attisant les tensions et en manipulant les rivalités entre tribus, Dutrou-Bornier cherche à fragmenter la cohésion sociale de l'île, rendant par conséquent les communautés plus vulnérables et plus faciles à contrôler.
Cette stratégie de "diviser pour mieux régner" témoigne d'une approche calculatrice et impitoyable de la gouvernance.
La corruption des chefs de tribus pascuans marque une autre facette de sa tyrannie. En les corrompant, il parvient non seulement à s'assurer leur allégeance mais aussi à faciliter le commerce de main-d'œuvre, envoyant des Pascuans travailler, souvent dans des conditions inhumaines, dans les plantations de Tahiti. Cette pratique, s'apparentant à de l'esclavagisme, démontre un mépris total pour la dignité humaine et les droits des Pascuans.
Le portrait qui se dessine de Dutrou-Bornier est celui d'un aventurier transformé en flibustier, dont les actions ont profondément marqué l'histoire de l'île de Pâques.
Sa gouvernance tyrannique a non seulement exacerbé les souffrances des habitants, mais a également laissé une empreinte indélébile sur le tissu culturel et social de l'île.
Cette période sombre reflète les conséquences tragiques de la collision entre un désir impérialiste de domination et une culture insulaire fragile, soumise aux caprices d'un homme dont le "sacré destin" a été forgé au détriment de ceux qu'il cherchait à gouverner.
Des Ambitions Démesurées
La vision de Jean-Baptiste "Onésime" Dutrou-Bornier pour l'île de Pâques était fortement influencée par ses ambitions personnelles et son désir de laisser une empreinte durable. En cherchant à rattacher l'île à la France, il envisageait de transformer ce territoire isolé et mystérieux en une extension de l'empire colonial français.
Les documents établis sous son autorité, empreints des principes du droit napoléonien et ornés du sceau de l'empereur, témoignent de ses efforts pour légitimer son règne et pour inscrire l'île dans le giron français.
Ses appels répétés à Napoléon III pour intégrer l'île de Pâques à la France révèlent une volonté de reconnaissance et de soutien officiel, bien que ces tentatives se soient heurtées à l'indifférence, l'empereur étant accaparé par des événements majeurs en métropole tels que la guerre franco-allemande, la perte de l'Alsace-Moselle, et les tumultes de la Commune de Paris.
Quant à son approche des trésors archéologiques de l'île, Dutrou-Bornier semblait davantage motivé par le potentiel de profit commercial que par une quelconque considération pour la préservation culturelle ou historique.
Son attitude envers les moaï, ces imposantes statues qui sont le symbole le plus emblématique de la culture Rapanui, et les tablettes rongorongo, était pragmatique et utilitaire.
Comme beaucoup de navigateurs de son époque, il participa au pillage et à la dégradation de ces artefacts, emportant avec lui des fragments de cette civilisation ancienne dans le but de les monnayer.
Cette démarche contribua non seulement à la disparition physique d'éléments cruciaux du patrimoine de l'île, mais également à l'effacement de pans entiers de son histoire, notamment concernant les tablettes rongorongo, dont l'écriture demeure un mystère en grande partie à cause de la disparition des élites lettrées de l'île suite aux rafles d'esclavagistes.
La vision de Dutrou-Bornier pour l'île de Pâques, marquée par une quête de gloire personnelle et de gains matériels, s'inscrit dans une logique coloniale où les richesses culturelles et historiques sont subordonnées aux intérêts économiques et politiques. Cette approche a eu des répercussions profondes et durables sur l'île, altérant irrévocablement son paysage culturel et historique, et laissant derrière elle un héritage de pertes et de destructions.
La Mort et l’Héritage de Doutrou-Bornier
La fin de Jean-Baptiste "Onésime" Dutrou-Bornier est enveloppée dans le mystère, sa mort brutale par assassinat demeurant non élucidée, sans coupable identifié.
Sa fin ouvrit une période de tumultes et de querelles autour de son héritage, exacerbant les tensions entre ses associés, sa femme restée en France, et sa veuve pascuane.
Ces disputes internes, sur fond de convoitises pour les richesses accumulées durant son règne sur l'île, offrirent une opportunité aux Chiliens. Profitant du vide de pouvoir et des conflits d'intérêts, le Chili consolida sa prise sur l'île, intégrant officiellement ce territoire dans ses possessions en 1888, marquant ainsi la fin de l'influence française et de l'époque de Dutrou-Bornier sur l'île de Pâques.
L’emprise chilienne sur l’île marqua alors le commencement d’une autre période de tragédie et d’exactions sur les insulaires, mais sous un autre drapeau.
Le legs matériel de Dutrou-Bornier sur l'île semble s'être évaporé avec le temps, ne laissant derrière lui qu'une tombe comme témoignage tangible de son passage. Cette sépulture, redécouverte par des habitants de Montmorillon, sa ville d'origine, lors d'un voyage sur les traces de Dutrou-Bornier, constitue un lien mémoriel discret, mais poignant avec ce personnage controversé. Au-delà de cette tombe, l'île de Pâques ne conserve aucune trace manifeste de la présence ou de l'influence française qui aurait pu perdurer après son époque.
Son passage a indubitablement marqué un tournant dans le destin de cette île. Pourtant, son héritage, empreint de conflits et d'ambitions personnelles, s'est estompé, laissant l'île et ses habitants poursuivre leur histoire sous de nouvelles influences et avec de nouveaux défis.
Ainsi l’histoire rendit justice aux Rapa Nui et à leur mémoire, en extirpant un pan de cette histoire douloureuse.
Ajouter un commentaire
Commentaires