Corps à Vendre - L'Univers de la Prostitution dans l’Athènes Antique

Contexte Historique

Une musicienne de banquet - prostitution en Athène Antique

« L'amour est une folie divine », écrivait Platon

Au Vᵉ siècle avant J.-C., Athènes rayonne. La cité, carrefour d'échanges et de richesses, attire marchands, marins et artisans de toute la Méditerranée. Dans l'ombre de l'Acropole, sous le soleil éclatant de l'Attique, cette folie divine prenait des multiples formes, et une réalité sociale se déploie : la prostitution.

Comment une société aussi brillante que l'Athènes classique, berceau de la démocratie et de la philosophie, intégrait-elle la prostitution à son tissu social ? Loin d'être un tabou, cette pratique répondait à des besoins et des codes bien spécifiques.



Les citoyens, athéniens ou étrangers, ne se mariaient généralement qu'après trente ans. Comment, dès lors, gérer les désirs et les pulsions de cette jeunesse en pleine effervescence ?

La prostitution offrait une solution, un exutoire socialement acceptable. Solon (630 - 560 av. J.-C), célèbre législateur, avait saisi cette nécessité. Pragmatique, il légalisa la prostitution et organisa des maisons closes publiques, soucieux à la fois de contrôler cette activité et d'en tirer des revenus pour la cité.

Pour les femmes, souvent pauvres ou esclaves, la prostitution devenait un moyen de subsistance, une voie, certes contrainte, vers une certaine autonomie. Dans l'Athènes Antique, la prostitution n'était pas stigmatisée.

 

Fréquenter les prostituées n'entachait en rien la réputation d'un homme et le statut de prostituée n'était source ni de honte ni d'exclusion sociale.

Si la prostitution était globalement tolérée, il existait sans doute des nuances et des différences de perception selon les milieux sociaux. Certaines courtisanes, les hétaïres, jouissaient même d'une considération et d'une influence remarquables.

Plusieurs facteurs expliquent l'existence et le développement de la prostitution dans la société athénienne.

 

  • En premier lieu, la société patriarcale limitait considérablement le rôle des femmes, les confinant principalement au mariage et à la maternité. Exclues de la vie politique et économique, certaines femmes trouvaient dans la prostitution une forme d'indépendance relative, bien que cette liberté fût souvent illusoire et contrainte.
  • L'esclavage, institution profondément ancrée dans la société grecque, alimentait également le marché du sexe. De nombreuses femmes et hommes esclaves étaient contraints de se prostituer, leur corps devenant une source de profit pour leurs maîtres.
  • Par ailleurs, la liberté sexuelle accordée aux hommes athéniens favorisait la demande pour la prostitution. Mariés ou célibataires, ils pouvaient satisfaire leurs désirs en dehors du cadre conjugal sans craindre de jugement moral. La prostitution offrait ainsi un exutoire et permettait de préserver l'honneur des femmes respectables.
  • Enfin, certains cultes de fertilité, notamment celui d'Aphrodite, intégraient la prostitution sacrée. Dans certains temples, des prêtresses se prostituaient au nom de la divinité, leur corps étant considéré comme un lien avec le sacré et la fécondité.

Le commerce du plaisir dans l'Athènes antique était une réalité diverse et complexe. La prostitution féminine, la plus répandue, se pratiquait dans des lieux variés : des temples aux maisons closes, en passant par la rue. Dans ce contexte où la sexualité était relativement libre et encadrée, la prostitution féminine était non seulement tolérée, mais aussi reconnue comme une profession légitime, pourvoyeuse d'un service essentiel.

 

Paradoxalement, la prostitution masculine était souvent l'objet de mépris. En effet, dans une société où les rapports sexuels entre hommes étaient courants, le prostitué masculin, en "jouant le rôle de la femme" – c'est-à-dire en étant pénétré –, dérogeait aux normes de la masculinité dominante, fondée sur la pénétration active et la domination. Cette différence de perception s'explique par les valeurs et les codes sociaux de l'époque, qui associaient la masculinité à la force et au pouvoir.

 

Au sein de cet univers contrasté, le statut des prostituées variait considérablement. Les pornai, souvent des esclaves ou des affranchies, exerçaient dans les bordels ou dans la rue, contraintes par leur condition ou par la nécessité.

Leur existence était précaire, soumise aux aléas de la demande, à la violence et à l'arbitraire de leurs maîtres ou proxénètes. Elles vivaient souvent dans la misère, exposées aux maladies et à la marginalisation.

 

À l'opposé de ce sombre tableau, se dressaient les hétaïres, courtisanes cultivées et élégantes. Si certaines étaient issues des classes supérieures, d'autres étaient d'origine plus modeste.

Elles étaient les compagnes recherchées des hommes les plus influents, brillant par leur intelligence, leur esprit et leurs talents artistiques. Loin d'être de simples objets de plaisir, elles participaient activement aux discussions philosophiques et politiques, jouissant d'une certaine liberté et d'une influence non négligeable.

Cependant, leur statut ambigu, à la fois admirées et marginalisées, les plaçait en marge des conventions sociales.

 

Dans cette société athénienne, où les dieux et les déesses imprégnaient tous les aspects de la vie, la prostitution ne se limitait pas à la sphère privée ou aux maisons closes. Elle s'invitait aussi dans les temples, au cœur des cultes et des rituels.

La prostitution sacrée, pratiquée par des prêtresses dévouées à certaines divinités, offre un éclairage fascinant sur les liens complexes entre religion, sexualité et société dans l'Athènes antique.

C'est ce que nous allons explorer dans la section suivante.

La Prostitution Sacrée

La Prostitution Sacrée en Athène Antique

Si la prostitution profane était largement répandue, il existait aussi une forme de prostitution liée au sacré : la prostitution sacrée. 

Cette section explore ce phénomène complexe et controversé, en s'intéressant notamment au culte d'Aphrodite à Corinthe et aux rites de fertilité.

Le Culte d'Aphrodite à Corinthe

Au VIe siècle avant J.-C., Corinthe, cité prospère et carrefour commercial majeur, abritait un temple imposant dédié à Aphrodite sur l'Acrocorinthe, une colline dominant la ville. La déesse de l'amour et de la beauté y était vénérée sous un jour particulier, incarnant non seulement la sensualité, mais aussi la fertilité et la prospérité.

Strabon, géographe grec du Iᵉʳ siècle avant J.-C., décrit dans sa Géographie l'atmosphère particulière de ce lieu saint :

"Le temple d'Aphrodite à Corinthe était si riche qu'il possédait plus de mille prostituées sacrées (hierodules), qui avaient été consacrées à la déesse par des hommes et des femmes."

 

Ces femmes, appelées hierodules, accueillaient les pèlerins venus de tout le monde grec pour honorer la déesse et solliciter ses faveurs. Le temple, loin d'être uniquement un lieu de débauche, était un espace sacré où la sexualité était ritualisée et mise au service de la divinité.

Mais comment percevait-on ces pratiques ? Étaient-elles considérées comme sacrilèges ou comme une expression de la piété ? Les sources antiques offrent des perspectives contrastées.

 

Pindare, poète lyrique du Vᵉ siècle avant J.-C., évoque ces prêtresses dans une de ses odes :

"Jeunes filles aux sourires d'or, servantes de Peitho (la Persuasion) auprès de l'autel parfumé d'Aphrodite, vous qui brûlez l'encens sacré..."

 

Ces "servantes de la Persuasion" étaient les prostituées sacrées, dont le rôle était d'offrir aux fidèles une expérience à la fois physique et spirituelle.

L'historien grec Athénée, citant le philosophe Aristote, nous apprend que " les Corinthiens priaient Aphrodite de leur accorder la prospérité économique, et la déesse exauçait leurs prières grâce aux revenus générés par ses prêtresses."

La prostitution sacrée était perçue comme un moyen de favoriser la fertilité de la terre et d'assurer la richesse de la cité.

Les Rites de Fertilité

Au-delà des temples d'Aphrodite, la prostitution sacrée s'intégrait parfois à des rituels agraires, expressions d'une religiosité plus ancienne, enracinée dans le cycle des saisons et la fertilité de la terre. Bien que moins documentées et plus localisées que la prostitution liée au culte d'Aphrodite, ces pratiques nous offrent un aperçu fascinant de la relation intime entre sexualité et fécondité dans la pensée grecque.

 

Si les sources directes sur les rites de fertilité impliquant la prostitution en Grèce continentale sont rares, certaines allusions dans la littérature et l'iconographie laissent entrevoir des pratiques similaires.

Ainsi, le poète Théocrite (IIIe siècle av. J.-C.), dans ses Idylles, évoque des femmes qui "se livrent à l'amour sous les arbres sacrés" lors des fêtes en l'honneur de Déméter, déesse des moissons.

 

De même, des représentations de scènes érotiques sur des vases et des terres cuites votives suggèrent l'existence de rituels où la sexualité jouait un rôle symbolique dans la promotion de la fertilité agricole.

Ces pratiques, en marge de la religion officielle, témoignent de la diversité des croyances et des rituels liés à la fertilité dans le monde grec. Elles nous invitent à nous interroger sur la place de la femme et de la sexualité dans ces cultes anciens, et sur les liens complexes entre le corps, la nature et le sacré.

Le Cas de la Locride

Un exemple plus concret, bien que controversé, nous vient de la Locride, région de Grèce centrale. Selon l'historien Polybe (IIe siècle av. J.-C.), les habitants de la Locride attribuaient leurs malheurs à une malédiction divine qui aurait frappé leurs ancêtres pour avoir profané le temple d'Apollon à Delphes. Pour apaiser la colère du dieu, ils auraient institué une coutume singulière : chaque année, deux jeunes filles étaient envoyées à Delphes pour y servir comme prêtresses et se prostituer au nom du dieu.

 

Cette pratique, qui aurait duré plusieurs siècles, témoigne de la persistance de croyances et de pratiques liées à la prostitution sacrée dans certaines régions de Grèce. Elle soulève également des questions sur la nature du sacrifice et de l'expiation dans la religion grecque, et sur le rôle des femmes dans ces rituels.

La prostitution sacrée, bien que moins documentée que la prostitution profane, offre un éclairage précieux sur la complexité des rapports entre religion, sexualité et société dans la Grèce antique.

Elle nous montre que la prostitution ne se limitait pas à la sphère privée ou commerciale, mais pouvait s'intégrer à des pratiques religieuses et rituelles, au service de divinités et de croyances variées.

 

Le culte d'Aphrodite à Corinthe, avec ses prêtresses consacrées à la déesse, et les rites de fertilité, avec leurs pratiques symboliques, illustrent la diversité des formes et des significations de la prostitution sacrée.

Cependant, il est important de garder à l'esprit que les sources sur la prostitution sacrée sont souvent fragmentaires et sujettes à interprétation. La perception de ces pratiques a pu varier selon les époques, les individus et les contextes sociaux. Il est donc crucial d'adopter une approche critique et nuancée lorsque l'on étudie ce phénomène complexe et fascinant.

 

Après avoir exploré les aspects sacrés de la prostitution, penchons-nous maintenant sur sa dimension profane. La section suivante examine les différentes catégories de prostituées qui exerçaient dans la Grèce antique, des hétaïres aux esclaves, en passant par les courtisanes.

La Prostitution Profane - Une Réalité Complexe et Hiérarchisée

La Prostitution Profane en Atnène Antique

Si la prostitution sacrée était liée à la sphère religieuse, la prostitution profane, elle, était omniprésente dans la société grecque antique.

Loin d'être un phénomène homogène, elle se caractérisait par une grande diversité de statuts et de conditions, reflétant les inégalités et les hiérarchies sociales de l'époque.

Les Pornai - Un Terme Générique Pour Une Réalité Multiple

Le terme générique utilisé pour désigner les prostituées dans la Grèce antique était "pornai". Ce mot, dérivé du verbe pernemi ("vendre"), révèle la réalité crue de ces femmes : elles étaient littéralement "celles qui se vendent", réduites à l'état de marchandise. Mais derrière cette appellation générique se cachait une grande diversité de situations..

Parmi elles, on trouvait :

  • Des esclaves : Forcées de se prostituer par leurs maîtres, elles n'avaient aucun contrôle sur leur vie ni sur leurs gains. Leur existence était souvent misérable, marquée par la violence et la précarité.

 

  • Des affranchies : Ayant obtenu leur liberté, elles se tournaient parfois vers la prostitution faute d'autres moyens de subsistance. Leur situation était plus indépendante que celle des esclaves, mais elles restaient vulnérables et soumises aux abus.

 

  • Des femmes libres issues des classes pauvres : Poussées par la nécessité, elles vendaient leurs charmes pour survivre ou subvenir aux besoins de leur famille.

 

Les lieux où les pornai exerçaient étaient variés : la rue, les tavernes, mais aussi des maisons closes (porneia) souvent sordides et malfamées.  Elles étaient stigmatisées et marginalisées par la société, considérées comme impures et indignes de respect.

 

Imaginez une ruelle sombre et étroite d'Athènes, la nuit tombée. Des lanternes projettent des ombres vacillantes sur les murs décrépits. Des rires gras s'échappent d'une taverne où des hommes, ivres de vin, cherchent à oublier les soucis de la journée.  Au coin de la rue, une femme voilée attend, le regard fuyant...  C'est dans ce genre d'endroits, à l'abri des regards, que les pornai offraient leurs services.

 

Les maisons closes (porneia) étaient également courantes.  [Lien hypertexte vers un article sur les porneia]  On y trouvait des chambres plus ou moins luxueuses, selon le prix que l'on était prêt à payer.  Certaines étaient de véritables établissements, avec des esclaves pour servir les clients et des musiciens pour les divertir.

 

Les pornai étaient stigmatisées et marginalisées par la société, considérées comme impures et indignes de respect.  Leur existence était souvent difficile, marquée par la violence et la précarité.

 

Malgré le mépris affiché à l'égard des prostituées, la prostitution était une réalité incontournable dans la Grèce antique.  Le législateur athénien Solon (VIe siècle avant J.-C.) tenta même de la réglementer.  Il fixa le prix d'une rencontre avec une pornai à une obole, une petite pièce de monnaie en bronze.

 

Pour six oboles, soit une drachme (l'équivalent d'une journée de salaire pour un ouvrier), un homme pouvait donc s'offrir les faveurs d'une prostituée.

 

Ce commerce, loin d'être honni, était encadré et même taxé par la cité. Les impôts prélevés sur les maisons closes et les prostituées indépendantes contribuaient à financer les grands travaux d'Athènes : temples dédiés aux dieux, monuments majestueux et routes impeccables.

 

Lorsque les pornai n'étaient pas occupées à satisfaire les désirs de leurs clients, elles s'adonnaient au filage de la laine et au tannage du cuir, activités artisanales courantes chez les femmes des classes populaires  athéniennes.  Ces travaux leur permettaient de compléter leurs revenus et d'assurer leur indépendance financière.

 

Ainsi, la prostitution dans l'Athènes antique, loin d'être reléguée aux marges de la société, était intégrée au tissu économique et social de la cité. Les pornai, figures à la fois libres et marginales, contribuaient à leur manière à la prospérité et au rayonnement d'Athènes.

Au-delà de l'obole — Le Troc et l'Investissement

Si l'obole était la monnaie d'échange courante dans le monde des pornai, certaines d'entre elles, plus audacieuses ou pragmatiques, n'hésitaient pas à sortir des sentiers battus.  

 

Pour s'offrir leurs faveurs, il fallait parfois user d'autres arguments que de simples pièces d'argent.  Ainsi, le troc était une pratique courante, permettant d'échanger des plaisirs charnels contre des biens plus concrets : victuailles, vins capiteux, onguents parfumés ou étoffes précieuses...

 

Cependant, la majorité des pornai préféraient tout de même les oboles sonnantes et trébuchantes.  Conscientes de leur valeur, elles rivalisaient d'ingéniosité pour se rendre irrésistibles et ainsi faire grimper les enchères.  

 

Leur but ultime ?  S'assurer un avenir confortable en investissant leurs gains dans l'achat de jeunes esclaves qu'elles formaient à leur art.  Ces apprenties, une fois leur beauté éclose, prenaient le relais et assuraient la prospérité de leur maîtresse, perpétuant ainsi un cycle où la jeunesse et la séduction étaient les clés de la réussite.

 

On peut ainsi imaginer ces femmes, maîtresses de leur destin, tissant un réseau complexe d'alliances et de rivalités, où la beauté, l'intelligence et le sens des affaires étaient les armes pour s'élever dans la société athénienne et défier les conventions.

Le Regard Satirique d'Alexis, Le Poète

Alexis, un poète comique athénien du IVe siècle avant J.-C., connu pour ses portraits satiriques de la société de son époque, nous offre un aperçu amusant des ruses employées par les pornai pour attirer les clients.  

Dans un fragment survivant de ses pièces aujourd'hui disparues [préciser la source], il nous livre un portrait haut en couleur de ces femmes, où l'appât du gain et la ruse sont les maîtres mots.  Elles déploient des trésors d'ingéniosité pour séduire et dépouiller leurs clients, usant de mille et un subterfuges.

 

Alexis nous dépeint avec ironie l'obsession de ces dames pour l'apparence physique. Véritables caméléons, elles usent de tous les artifices pour sublimer leurs atouts et masquer leurs imperfections.  Si elles étaient trop petites, elles glissaient du liège dans leurs sandales. Trop grandes, elles se penchaient avec grâce pour paraître plus menues.  Et si leurs hanches étaient étroites, quelques mouvements suggestifs créaient l'illusion.

 

Leurs atours sont de véritables trompe-l'œil : faux seins rembourrés, sourcils redessinés au charbon ou blanchis à la céruse, teint hâlé artificiellement... Chaque détail est savamment orchestré pour créer une image idéale et captiver le regard..

 

Même le sourire est une arme de séduction savamment étudiée. Si Dame Nature n'a pas été généreuse, un bâtonnet de myrte glissé entre les lèvres fera l'affaire, forçant un sourire permanent, aussi faux soit-il !  Imaginez ces femmes, le visage figé dans un rictus permanent,  arpentant les rues d'Athènes à la recherche de clients...

 

Alexis, avec un humour grinçant, nous révèle les coulisses de ce théâtre de la séduction, où les apparences sont trompeuses et où la beauté est un art qui s'apprend et se peaufine sans relâche.

Des Talents Artistiques Pour Séduire

Talents artistiques prostitués en Athène Antique

Mais la beauté physique ne suffisait pas toujours.  Dans cette société où les arts étaient  appréciés, les prostituées rivalisaient d'ingéniosité pour se rendre désirables.  

Plus elles étaient séduisantes et talentueuses, plus elles pouvaient attirer une clientèle aisée et exigeante.  Chant, danse, acrobaties... elles cultivaient leurs talents artistiques pour se distinguer et égayer les soirées.

Les célèbres banquets de Platon et de Xénophon nous offrent un témoignage fascinant de ces pratiques.  Des pornai, parfois confondues avec les hétaïres (ces courtisanes cultivées et raffinées qui fréquentaient l'élite athénienne), étaient conviées à divertir les convives par leurs performances artistiques.  

Dans le Banquet de Platon, la joueuse de flûte est congédiée dès le début de la soirée, laissant place aux discussions philosophiques. Chez Xénophon, en revanche, un groupe d'artistes, hommes et femmes, se produit devant les invités, offrant un spectacle mêlant chants, danses et acrobaties avant de se retirer, probablement richement récompensés…

Mais ces divertissements n'étaient souvent qu'un prélude à des plaisirs plus intimes.  Il n'était pas rare qu'un convive, charmé par une artiste, l'engage pour le reste de la nuit et l'emmène dans ses appartements privés.

L'évolution du Mot "Porne"

Il est intéressant de noter comment le mot porne, initialement neutre et descriptif, a progressivement acquis une connotation négative.  Cette évolution sémantique reflète l'évolution des mentalités et des valeurs morales à travers les siècles.  

Dans la société grecque antique, où la prostitution était largement acceptée, le terme porne n'avait pas la charge péjorative qu'il a aujourd'hui.  C'est avec l'avènement du christianisme et la condamnation morale de la prostitution que le mot a commencé à être associé à l'immoralité et à la déchéance.  

Aujourd'hui, le terme "porno"  et ses dérivés  (pornographie, pornographique)  sont largement utilisés pour désigner des contenus sexuellement explicites, souvent considérés comme choquants ou dégradants.

Ces femmes, libres et affranchies des contraintes du mariage, offraient bien plus que de simples étreintes charnelles. Elles étaient les muses des hommes les plus puissants, les confidentes des esprits les plus brillants. Leur beauté, leur élégance et leurs talents artistiques étaient leur passeport pour accéder aux cercles les plus fermés de la société athénienne.

Imaginez ces femmes gracieuses évoluant avec aisance dans les banquets et les symposiums, captivant l'attention par leur conversation spirituelle, leur connaissance des arts et leur maîtrise de la musique. Elles étaient les étoiles de ces soirées, illuminant les esprits et les cœurs.

 

Parmi ces courtisanes, une distinction s'imposait. Les hetairai, véritables "compagnes", étaient choisies pour leur intelligence, leur culture et leur charme. Loin d'être de simples objets de plaisir, elles étaient des partenaires intellectuelles et émotionnelles, capables de tenir des conversations passionnantes sur la philosophie, la politique ou les arts.

Aspasia, compagne de Périclès et figure emblématique de cette élite féminine, exerça une influence considérable sur la vie politique et culturelle de son époque.

Les concubines, quant à elles, occupaient une place plus discrète. Elles partageaient le quotidien d'un homme sans être liées par les liens du mariage, offrant compagnie et plaisirs intimes.

Leur statut était plus stable que celui des hetairai, mais elles restaient dépendantes de la protection et de la générosité de leur amant.

 

Malgré leur liberté et leur indépendance financière, les courtisanes étaient exclues du mariage légal et de la citoyenneté. Elles évoluaient dans un entre-deux, à la fois admirées et méprisées, tolérées et stigmatisées. Leurs vies étaient jalonnées de paradoxes, entre luxe et précarité, liberté et dépendance, influence et marginalisation.

L'étude de ces femmes fascinantes nous offre une plongée au cœur de la société grecque antique, révélant ses contradictions et ses ambiguïtés. Les courtisanes, figures emblématiques de cette époque, nous invitent à repenser nos conceptions de la féminité, du pouvoir et de la liberté. Leur histoire, trop longtemps restée dans l'ombre, mérite d'être redécouverte et racontée.

 

Si les courtisanes féminines occupaient une place particulière dans la société grecque, il ne faut pas oublier que la prostitution masculine existait également. Bien que moins documentée et souvent occultée, elle constituait une réalité sociale qui mérite d'être examinée.

La Prostitution Masculine

Prostitution masculine en Athène Antique

Si le monde de la prostitution dans la Grèce antique était majoritairement féminin, il ne faut pas oublier l'existence d'une prostitution masculine, plus discrète, mais tout aussi présente. Ces hommes, souvent jeunes et imberbes, arpentant les rues et les lupanars, offraient leurs services à une clientèle variée, composée aussi bien d'hommes que de femmes.

Cependant, une clientèle masculine plus âgée était celle qui sollicitait le plus souvent les prostitués masculins. La jeunesse et la beauté étaient des atouts précieux dans ce commerce, où le corps était une marchandise soumise aux lois du marché.

L'esclavage était une réalité sombre de cette époque, et les esclaves, hommes et femmes confondus, étaient souvent exploités sexuellement sans aucune protection juridique. Nombre de prostitués masculins étaient ainsi contraints à la prostitution, privés de tout libre arbitre.

Qu'ils aient choisi cette profession ou qu'ils y aient été contraints, les prostitués masculins avaient une carrière éphémère. Leur jeunesse était leur principal atout, et dès l'apparition de la barbe, signe de maturité, leur attrait diminuait irrémédiablement. Leur fenêtre de « succès » se situait entre 13 et 20 ans, un contraste saisissant avec la longévité de la carrière des prostituées féminines.

 

En effet, ces dernières pouvaient exercer leur métier pendant de nombreuses années, s'appuyant sur leur expérience et leur savoir-faire. Certaines, comme les hétaïres, parvenaient même à se construire une carrière durable grâce à leur intelligence, leur culture et leur charme. L'éloquence et la vivacité d'esprit étaient des atouts précieux, qui transcendaient la simple beauté physique et permettaient à ces femmes de s'épanouir pleinement dans leur profession.

Cette différence de trajectoire professionnelle entre prostitués masculins et féminins reflétait le regard contrasté que la société portait sur eux. Dans la Grèce antique, la prostitution masculine était perçue de manière  bien différente de la prostitution féminine. Contrairement aux femmes, dont la prostitution était, sous certaines conditions, acceptée, voire intégrée à la société, les hommes qui vendaient leurs charmes étaient souvent perçus avec mépris.

 

L'acte de se « donner » à un autre homme était considéré comme une renonciation à la virilité, une soumission indigne d'un citoyen. Cette conception est parfaitement illustrée par le célèbre procès qui opposa Eschine à Timarque en 346-345 avant notre ère. Eschine, pour discréditer son adversaire politique, l'accusa d'avoir été prostitué dans sa jeunesse, le rendant ainsi inapte à participer aux affaires de la cité.

Il est important de noter qu'Eschine ne condamnait pas l'homosexualité en soi, mais bien le rôle passif adopté par le prostitué, assimilé à celui d'une femme. 

Or, dans la société grecque antique, les femmes étaient considérées comme inférieures aux hommes sur tous les plans : biologique, spirituel et mental. Elles étaient exclues de la vie politique et sociale, confinées à la sphère domestique.

 

Comme l'explique Robin Waterfield, les femmes étaient perçues comme plus proches des animaux que des hommes, dominées par leurs pulsions et leurs appétits. L'honneur d'un homme dépendait en partie de la vertu de ses femmes, et la crainte de l'adultère était omniprésente. Le mariage était vu comme le seul moyen de « dompter » la nature sauvage des femmes.

 

Ainsi, en accusant Timarque d'avoir été prostitué, Eschine le rabaissait au rang des femmes, le privant de sa virilité et de sa citoyenneté. Cet exemple illustre la stigmatisation qui pesait sur les prostitués masculins dans la Grèce antique, victimes d'une société patriarcale qui valorisait la domination masculine et la passivité féminine.  

Cette conception de la masculinité et de la féminité influençait profondément tous les aspects de la vie sociale et privée, et conditionnait la place des individus au sein de la cité.

 

Pour mieux comprendre la situation des prostitués masculins et le poids de la stigmatisation qui les touchait, il est essentiel de se pencher sur la condition féminine dans l'Athènes antique.

La Condition de la Femme dans l'Athènes Antique

La Condition de la Femme dans l'Athènes Antique

Dans l'Athènes antique, la condition féminine était marquée par une dépendance quasi-totale envers les hommes. C’était une société où les femmes, tels des oiseaux en cage dorée, étaient soumises à l'autorité d'un tuteur masculin tout au long de leur vie : d'abord le père, puis l'époux, et enfin, si le destin le voulait, le fils aîné.

Privées de droits politiques et économiques, les femmes athéniennes étaient reléguées à la sphère domestique. 

Leurs déplacements et leurs interactions sociales étaient strictement contrôlés.

Même au sein de l'agora, le cœur vibrant de la cité, elles ne pouvaient commercer que dans une zone réservée, et uniquement avec d'autres femmes. Leurs activités commerciales se limitaient à la vente de produits de leur jardin, de la laine qu'elles filaient, d'objets artisanaux et de bijoux.

 

Au sein du foyer, les femmes vivaient dans des quartiers séparés, souvent verrouillés de l'extérieur par l'homme de la maison. Cette ségrégation spatiale reflétait une conception profondément misogyne de la femme, perçue comme un être fragile, lubrique et facilement influençable.

 

Le mariage, la maternité et la gestion du foyer étaient les seules perspectives offertes aux femmes athéniennes. Leur rôle principal était de donner naissance à des fils, futurs citoyens, et de veiller au bon fonctionnement de la maisonnée.

Cette situation de dépendance et de confinement contrastait fortement avec la liberté et l'autonomie dont les hommes jouissaient. Les femmes étaient exclues de la vie publique, de l'éducation et des débats intellectuels. Leur existence était déterminée par les hommes et les normes sociales rigides qui régissaient la société athénienne.

 

Pour mieux comprendre cette situation, il est intéressant de se pencher sur l'analyse de Robin Waterfield. Dans sa brillante analyse de la société athénienne, il souligne le contraste saisissant entre les rôles masculins et féminins : « Alors que l'homme athénien pouvait s'épanouir dans de multiples sphères — politique, militaire, professionnelle, familiale et sociale — la femme, elle, était cantonnée à la sphère domestique. Mariage, maternité et gestion du foyer constituaient l'horizon indépassable de son existence. Le mariage était perçu comme l'équivalent féminin de la guerre et de la politique pour les hommes, censé combler tous les besoins et aspirations d'une femme. »

 

Dans cette optique, la mort d'une jeune fille célibataire était pleurée avant tout parce qu'elle ne connaîtrait jamais les joies du mariage, considéré comme l'accomplissement suprême de la vie féminine.

Le rôle principal des femmes, aux yeux de la société athénienne, était de perpétuer la cité en donnant naissance à de futurs citoyens. Cette fonction « civique » primait sur toute autre considération.

 

Cependant, il existait un domaine où les femmes pouvaient jouer un rôle actif et public : la religion. Les fêtes religieuses, et notamment les Panathénées en l'honneur d'Athéna, offraient aux femmes l'occasion de sortir de leur isolement domestique et de participer pleinement aux cérémonies. Elles tissaient le peplos, vêtement sacré destiné à la statue de la déesse, et le portaient en procession à travers la cité, jusqu'à l'Acropole.

Les Thesmophories, fête automnale célébrant Déméter et Perséphone, constituaient un autre moment fort de la vie religieuse du beau sexe. Cet événement exclusivement féminin était lié aux Mystères d'Eleusis, cérémonies initiatiques ouvertes aux deux sexes.

 

Ainsi, malgré leur statut inférieur et leur confinement à la sphère domestique, les femmes athéniennes trouvaient dans la religion un espace d'expression et de participation à la vie de la cité.  Ces moments de communion collective leur permettaient de transcender les limites imposées par leur genre et de jouer un rôle socialement reconnu.

Si la religion offrait aux femmes un espace d'expression publique, la prostitution, quant à elle, leur ouvrait les portes d'une certaine indépendance économique.

 

Dans l'Athènes antique, où les femmes étaient soumises à des règles sociales strictes et à une dépendance économique envers les hommes, la prostitution offrait une alternative, une échappatoire, une forme de liberté relative.

Pour celles qui refusaient de se conformer aux rôles traditionnels de l'épouse et de la mère, la prostitution était une option légale et socialement acceptée. Elle était considérée, au même titre que n'importe quel autre métier, comme celui de potière, de tisserande ou de charpentière.

 

Les femmes des classes inférieures, confrontées à des difficultés économiques, jouissaient d'une plus grande liberté de mouvement et d'action que les femmes de l'élite. Elles participaient activement à la vie économique de la cité, travaillant aux côtés de leurs maris pour subvenir aux besoins de la famille.

Cependant, même si certaines femmes exerçaient des métiers artisanaux ou agricoles, la prostitution restait une option fréquente, que ce soit par choix ou par nécessité.

 

Les veuves, privées de soutien masculin et sans fils pour subvenir à leurs besoins, se retrouvaient souvent dans une situation précaire. La prostitution, ou celle de leurs filles, pouvait alors devenir un moyen de survie.

L'écrivain Athénée de Naucratis rapporte ainsi le cas de mères ayant perdu mari et fils à la guerre, et contraintes de pousser leurs filles à la prostitution pour survivre. Ces témoignages poignants illustrent la dure réalité à laquelle était confrontée  certaine femme dans la Grèce antique.

 

La prostitution, bien que stigmatisée à certains égards, offrait une forme d'autonomie et d'indépendance financière aux femmes qui ne pouvaient ou ne voulaient pas se soumettre aux normes sociales traditionnelles. Elle était un moyen de subsistance, mais aussi une forme de résistance face à un système patriarcal restrictif.

Bien que la prostitution fût une réalité intégrée à la société athénienne, elle n'en demeurait pas moins un sujet complexe et ambigu. Si la loi et les mœurs la toléraient, elle n'était pas pour autant exempte de stigmatisation et de préjugés.

 

L'un des aspects les plus cruels de cette réalité était le statut des enfants nés de mères prostituées. Considérés comme illégitimes, ils étaient exclus de la citoyenneté et condamnés à une vie marginale. Leur paternité étant incertaine, ils ne pouvaient prétendre à aucun droit ni héritage.

Les filles n'avaient d'autre horizon que de suivre les traces de leur mère, perpétuant ainsi un cycle de prostitution à travers les générations. Elles étaient élevées dès leur plus jeune âge pour exercer ce métier, et devaient prendre soin de leur mère lorsque celle-ci serait trop âgée pour continuer.

Le sort des garçons était encore plus tragique. Abandonnés ou vendus comme esclaves, ils étaient privés de tout avenir et condamnés à une vie de souffrance. Parfois, ils étaient acquis par des familles athéniennes riches et infertiles.

 

Cette réalité sombre nous rappelle que la prostitution, même légale et encadrée, n'était pas sans conséquences pour les femmes et leurs enfants. Elle était souvent synonyme de précarité, de marginalisation et de souffrance, et perpétuait les inégalités sociales au sein de la cité athénienne.

Dans l'Athènes antique, la prostitution était tellement intégrée au tissu social qu'elle en devenait presque banale. Un homme pouvait fréquenter une prostituée sans que cela suscite la moindre réprobation, ni même une interrogation morale. La dimension humaine de cet acte, l'impact sur les femmes concernées, semblait totalement absente des préoccupations masculines.

 

Cette banalisation de la prostitution contraste fortement avec notre sensibilité moderne. Il est difficile, pour nous, de concevoir l'indifférence dont les Athéniens faisaient preuve à l'égard de la prostitution. Les lois, en excluant les femmes de la citoyenneté et de l'accès aux ressources économiques, les poussaient souvent à la prostitution pour assurer leur survie et celle de leurs enfants.

Pourtant, cette réalité ne semblait pas choquer les consciences. La prostitution était perçue comme une réponse pragmatique à un besoin naturel, dépourvue de toute dimension éthique.

Il est important de rappeler que cette vision n'était pas unanime dans le monde grec. À Sparte, par exemple, la prostitution était considérée comme dégradante aussi bien pour les hommes que pour les femmes, et donc fermement condamnée.

 

L'exemple d'Athènes nous montre à quel point les normes morales et sociales sont relatives et évoluent au cours de l'histoire. Ce qui était considéré comme normal et acceptable il y a 2500 ans nous apparaît aujourd'hui comme profondément injuste et choquant. L'étude de ces sociétés anciennes nous permet de prendre conscience de nos propres préjugés et de progresser vers une société plus juste et égalitaire.


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Athènes, berceau de la démocratie... et des plaisirs cachés. Derrière les temples et les statues, une autre cité s'éveille, où les corps se vendent et les âmes se perdent.

Éros règne en maître sur ce monde où la prostitution, sacrée ou profane, tisse sa toile envoûtante. 


Bibliographie : 

Ouvrages :

  • Davidson, James N. Courtesans and Fishcakes: The Consuming Passions of Classical Athens. HarperCollins Publishers, 1997. Une exploration fascinante de la vie quotidienne à Athènes, avec un chapitre consacré à la prostitution.

  • Henry, Madeleine M. Prisoner of History: Aspasia of Miletus and her Biographical Tradition. Oxford University Press, 2011. Une étude approfondie sur Aspasia, célèbre hétaïre et compagne de Périclès.

  • Waterfield, Robin. Taken at the Flood: The Roman Conquest of Greece. Oxford University Press, 2014. Contient une section intéressante sur la condition féminine et la prostitution dans l'Athènes antique.

Articles :

  • Flacelière, Robert. "La prostitution féminine dans la Grèce antique." Dialogues d'histoire ancienne 3, no. 1 (1977): 1-29. Un article classique sur le sujet.

  • Foucault, Michel. "La volonté de savoir." Histoire de la sexualité, vol. 1. Gallimard, 1976. Une analyse philosophique de la sexualité dans l'Antiquité, avec des références à la prostitution.

Sites web:

  • "Prostitution dans la Grèce antique" - Wikipédia

Une introduction générale au sujet, avec des liens vers d'autres ressources.

  • "Prostitution et sexualité à Athènes à l'époque classique" - OpenEdition Journals: https://journals.openedition.org/clio/586 

Un article académique plus approfondi sur la prostitution à Athènes.

 

Sources antiques :

  • Aristophane. Lysistrata, Les Thesmophories. Des comédies grecques qui abordent le thème de la sexualité et de la prostitution.

  • Platon. Le Banquet, La République. Des dialogues philosophiques qui offrent des perspectives sur la place des femmes et la prostitution dans la société athénienne.

  • Xénophon. Le Banquet, Mémorables. Des écrits qui contiennent des références à la prostitution et aux courtisanes.

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